Quelle force?
Parmi les nombreux aspects de l'entrainement pour lesquels un flou subsiste dans mon esprit, il y'a la notion de développement de la force. Il y'a de très nombreux avis contradictoires sur le sujet. Par exemple, Hunter Allen et Andy Coggan pensent que les séances avec des séquences de plusieurs minutes à faible cadence de pédalage et forte résistance (de type "big gear, low rpm", séances encore appelées SE pour "Strength Endurance") ne servent que très peu, voire pas du tout, pour un cycliste sur route déjà raisonnablement entraîné. Avec humour, le physiologiste américain précise même que ce type de séance sera utile pour rentrer à la maison plus aisément sur le grand plateau en cas de bris du dérailleur avant, mais pour le reste... Lorsque ce dernier écrit quelque chose, je le relis souvent plusieurs fois pour être bien certain d'avoir saisi. Donc après maintes relectures de ceci, ceci et cela, il me semble enfin comprendre et accepter le raisonnement.
Un développement de la force musculaire ne va pas forcément entraîner un développement de la puissance musculaire. En cela la relation Puissance=force*vitesse (ou plus judicieusement couple*cadence) est trompeuse. D'après Coggan, ce n'est pas en travaillant la force à des cadences inhabituelles que l'on va augmenter la puissance utilisée à des cadences habituelles. Les adaptations qui se font à ces basses cadences seraient essentiellement neurologiques et ne provoqueraient pas une hypertrophie du muscle, car la force employée lors de ces séances d'endurance de force est bien inférieur au niveau possible (voir cette courbe). Ainsi, de séance en séance, la facilité de travailler à des basses cadences augmenterait (ce que je confirme, les développements que j'utilise sur home trainer sont de plus en plus grands et les périodes d'effort de plus en plus longues), mais cette facilité ne se transférerait pas aux cadences plus élevées car les adaptations neurologiques ne se font que pour la cadence travaillée... L'auteur précise que bien souvent la force musculaire n'est pas le facteur limitant dans la performance aérobie. Cette remarque là me parle, car en y réfléchissant, à L5, la force exercée sur les pédales est plus élevée qu'à L4 à cadence identique. Mais si l'effort ne peut excéder quelques minutes, ce n'est pas parce que mes jambes flanchent par manque de force, mais bien parce que la demande en oxygène est excessive...
Quel travail de force alors?
Donc, soit, rien à attendre d'un développement de la force d'un point de vue aérobie (certains pensent même qu'il est contre-productif sur l'endurance aérobie, une hypertrophie des fibres réduisant la densité des mitochondries). Et rien à attendre des séances d'endurance de force. En revanche, j'ai inclus cet hiver le travail de développement de la force neuro-musculaire, une alternative aux séances précédentes. En pratiquant des sprints, départs quasi-arrêtés, avec le plus grand braquet possible.
C'est le seul moyen de produire des forces maximales le plus longtemps possible comme le montre les graphique ci-contre (profils du couple moyen exercé sur un tour de pédale) et donc de réellement créer une hypertrophie du muscle. Le couple exercé sur le pédalier atteint parfois 150 Nm sur 5 secondes sur route lors de conditions idéales, c'est à dire avec une légère pente montante. Sur home trainer, on peut atteindre les mêmes pics mais moins longtemps à cause de la faible inertie des pièces en rotation. Jusqu'à présent, le couple moyen maximum atteint lors de mes sprints classiques antérieurs, était au mieux de l'ordre de 100 Nm.
C'est le seul moyen de produire des forces maximales le plus longtemps possible comme le montre les graphique ci-contre (profils du couple moyen exercé sur un tour de pédale) et donc de réellement créer une hypertrophie du muscle. Le couple exercé sur le pédalier atteint parfois 150 Nm sur 5 secondes sur route lors de conditions idéales, c'est à dire avec une légère pente montante. Sur home trainer, on peut atteindre les mêmes pics mais moins longtemps à cause de la faible inertie des pièces en rotation. Jusqu'à présent, le couple moyen maximum atteint lors de mes sprints classiques antérieurs, était au mieux de l'ordre de 100 Nm.
La force moyenne appliquée sur les pédales (pour des manivelles de 172mm) est d'environ 150 Nm/9,81m.s-2/0,172m~88kg, soit 125% du poids du corps. Ces chiffres sont à manier avec précaution, car d'une part, le couple appliqué sur le pédalier (Cp) est évalué par le logiciel TrainingPeaks en prenant le couple exercé sur le moyeu (Cm), la vitesse (V en km/h), la cadence de pédalage (Cad en tr/mn), le diamètre de roue (D en m) et la relation suivante:
Cp=Cm*V/(0,06*Pi*D*Cad)
Or la cadence de pédalage n'est pas la valeur la plus précise mesurée par le PowerTap, et l'erreur est d'autant plus importante que lors des sprints départ arrêté, cette valeur est faible. Néanmoins, je sens bien que le couple exercé est plus important que lors d'un sprint classique, et que la force appliquée est plus importante que celle apportée par le poids du corps seul: la façon dont je tire (j'arrache?) le bas du guidon vers le haut à chaque coup de pédale ne trompe pas.
Quels résultats?
Et ces séances sont efficaces: je bats mon meilleur sprint sur 5 secondes de 966W du 03/01/08, exactement un an plus tard, avec 1013W (+4,8%). Si l'on compare le déroulement de ces deux sprints (effectués au même endroit, un franchissement de pont d'autoroute), le couple transmis est plus important (114 Nm au lieu de 96 Nm) à une cadence plus faible (93 tr/mn au lieu de 103 tr/mn). La vitesse maximale atteinte au sommet du pont est de 39,4km/h au lieu de 38,2 m/h:
Le graphe ci dessous (analyse par quadrants de la relation couple développée-cadence de pédalage) différencie les deux types de sprints:
-les points mauves de plusieurs sprints en force (braquet de 50*12) et départs quasi-arrêtés où l'on cherche à appliquer une force maximale à partant d'une cadence faible pour aller vers une cadence de 80tr/mn
-les points bleus d'un sprint classique (braquet de 50*17) où le but est de produire la plus grande puissance possible afin de créer une accélération maximale
Il y'a une linéarité apparente de la force maximale possible en fonction de la cadence de pédalage, ce que j'ai essayé de faire apparaitre avec la ligne verte qui passe par la tangente de la courbe rouge P=1013W et un point plus lointain qui est la force nulle à une cadence maximale d'environ 180tr/mn, c'est à dire le double de la cadence atteinte à P=1013W (~90tr/mn). Cette linéarité indique qu'en effectuant des sprints à une force maximale (donc à faible cadence), le transfert de force se fera partiellement à des cadences plus élevées, dont celle optimale pour produire une puissance maximale.
Ce type de séance est certainement à refaire régulièrement sous peine de perdre le bénéfice acquis sur la puissance neuro-musculaire. Dans cette étude, un groupe E remplace une partie de son entrainement aérobie par un entrainement de force explosive. Ses performances par rapport au groupe contrôle C ne sont pas améliorées sur un effort long à L4. En revanche, les performances du groupe E sur des sprints courts ne diminuent pas comme celles du groupe C au cours des 9 semaines.
Mais...
Si ma compréhension sur le sujet a donc évolué, je pense continuer cette année à pratiquer quelques séances à L3 avec des braquets importants avec un rappel toutes les 5 semaines environ. Pourquoi? C'est juste une impression mais, mais le principal facteur limitant lors d'efforts prolongés (25-60mn) à L4 semble provenir des capacités de mon appareil cardio-respiratoire. En réduisant alors la cadence de pédalage (de 80-85 vers 70-75tr/mn), j'arrive à réduire mon rythme de respiration qui est fortement lié à la perception de l'effort. Pour avoir un pédalage fluide et le moins heurté possible, ces séances de force semblent m'apporter un plus... En outre, je les apprécie. Il se trouve que sur home trainer, les cadences utilisées alors sont de l'ordre de 55-60tr/mn pas si éloignées finalement de l'intervalle de cadence optimale [65-75tr/mn] qui en ce qui me concerne me permet de développer la plus grande puissance possible lors d'efforts sur 20 minutes. Par ailleurs, je crois avoir lu que ces séances peuvent améliorer la facilité lors des passages de pente importante et brusque avec plusieurs secondes où le couple exercé est plus important et la cadence plus faible...
16 commentaires:
Bravo Pierre pour le kilowatt ! à quand la revente à EDF ? ? ? ;-)
Très bon article, la reflexion est poussée et ouvre un débat, c’est bien là l’essentiel. J’imagine que tu as lu pas mal de publis sur le sujet, je m’y suis aussi intéressé récemment puisque toute ma première partie d’hiver a été consacrée à ce travail en force. Je suis globalement en phase avec ce que tu ecris, sauf peut etre sur 2 ou 3 points :
- Tu as manifestement recherché le développement de la force maximale, celle que l’on travaille habituellement en salle, mais en atteignant 150 Nm sur ton vélo, tu as appliqué plus de spécificité en selectionnant les chaines musculaires aptes et habituellement recrutées. C’est un bon choix, mais il me semble que tu n’as pas donné la technique, en danseuse ou assis ? Car si tu as bossé en danseuse, les chaines musculaires ne sont pas tout à fait les mêmes.
- Comme tu as pu le lire dans la biblio, le travail en musculation sur le velo n’augmente pas le nombre de fibres, il s’agit seulement d’hypertrophier celles présentes et surtout de synchroniser les unités motrices entre elles par un travail sur les fibres rapides surtout. Comme le but n’est pas d’augmenter la masse musculaire (question de poids !), il est préférable à mon sens de développer le nombre d’UM actives plutot que la taille des fibres, c’est pourquoi j’ai choisi de travailler la musculation sur des intervalles longs et à une force intermédiaire (environ 50/60Nm).
- Comme j’ai aussi effectué des séances similaires aux tiennes dans le même laps de temps (sprints assis, départ quasi arrété, sprints debout, sur 5, 10 et 30s) depuis Novembre, il m’est bien difficile de savoir quelles ont été les séances les plus actives sur le developpement de mes petites capacités entre 5 et 10s. Toujours est il que j’ai constaté comme toi une nette amélioration dans ce domaine, et surtout en vtt ! ;-)
- Une question me chagrine tout de même : quel pourra être l’apport de l’amélioration de cette force dans notre aérobie ? Car comme tu le dis en intro, la part de la force dans la puissance est un leurre, il ne suffit en effet pas d’etre costaud pour etre puissant !
Quant aux certitudes de A. Coggan dans ce domaine, tout scientifique qu’il soit et que je respecte, je me méfie toujours de ses formules à l’emporte pièce…
Salut Obelix, non je n'ai beaucoup lu malheureusement sur le sujet mais me suis concentré sur ce que voulait dire Coggan et le consensus qui semble y avoir sur Google wattage...
Pour répondre à tes interrogations, les sprints sont pour 1/4 assis, et pour 3/4 debout. Je ne sais pas pourquoi il faut travailler assis car les sprints sont généralement fait debout.
Oui j'ai vu que toi aussi tes performances ont évoluées... Et surtout en VTT, d'où ma question sur ton blog, car je voulais savoir si c'était une aisance sur des efforts courts avec une grande pente ou sur des efforts plus longs.
Bon, alors le débat s’ouvre…
http://home.earthlink.net/~acoggan/misc/id4.html
Belle courbe, beau raisonnement avec une puissance max théorique qui passe de 833 à 1041 w, puis il cite des études montrant que finalement non, pas d’amélioration de Pmax, meme chez des non entrainés…Dit que c’est en raison de l’adaptation neuro qui est prépondérante dans l’augmentation de force, pas l’hypertrophie musculaire, et que ces adaptations neuro sont spécifiques de la cadence à laquelle elles sont entrainées. Mais si tu fais une recherche biblio, tu ne trouveras rien sur ce dernier axiome, juste quelques études réalisées avec une presse ou des squats, ce qui n’est sans doute pas vrai sur un vélo…
Le débat n'ira pas très loin :-) avec moi car n'ayant pas ou très peu de notion sur le sujet, je me suis contenté d'essayer de transcrire/comprendre des avis divergents sur ces séances de force.
Quelques autres liens sur le sujet (pour mémoire):
http://www.sportsci.org/news/traingain/resistance.html
http://www.topracket.com/Badmintology/CoreText/MotorSkills/MuscleCharacteristics.php
http://www2.trainingbible.com/joesblog/2007_11_01_archive.html
Ben au contraire, je trouve que ta démarche est très cohérente!
Merci pour les liens.
Juste une petite question; as tu déterminé le temps total que tu as passé dans la zone disons entre 80 et 150 Nm lors de tes séances?
TrainingPeaks m'indique 2mn pour la dernière sortie sur route (environ 10 sprints en force, soit 12s/sprint>80Nm). Pour augmenter le temps passé à force maximale, il faut en effet démarrer à la vitesse la plus basse possible et si possible en pente montante... Je crois me souvenir que F. Grappe utilise un autre moyen à la FDJ: il en suit un sur un vélo attaché par une chaine de chambres à air au vélo du coureur qui sprinte devant lui: la tension dans le caoutchouc augmente au fur et à mesure de l'accélération afin que le couple exercé par le coureur reste élevé plus longtemps...
La chambre à air: www.fredericgrappe.com/entrainement/informations/chambreairtelemetrie.pdf
Salut Bugno!
punaise, j'ai fait ma 2eme seance de force max ce matin, j'ai péniblement atteint 110 Nm...;-( Et j'ai mal aux jambes cet apres midi!
Je l'ai incluse dans une seance de 60 mn de sst à 250W, pour fatiguer les fibres lentes avant de booster les fibres rapides avec les sprints. Que penses tu de cette idée, je l'ai prise aupres de R. Duverne qui s'occupe de l'equipe de l'OL?
Il semblerait que l'exercice de force max sur un muscle dont les fibres lentes ont été utilisées en endurance soit plus efficace...
Bonjour Obelix,
Je voulais réagir sur ton blog à tes premiers essais car il y'a des trucs qui m'intriguent... Par rapport à l'idée que tu cites, je me rends compte que j'ai beaucoup à apprendre sur la notion de fibres lentes/rapides, quand est ce qu'elles sont activées, etc... :-)
C'est assez fou les coïncidences. Jeudi lors d'une sortie prévue de 3h sur route, j'ai cassé le câble du dérailleur arrière m'obligeant à rentrer en alternant 50*12 et 34*12. C'est la 1ère fois que cela m'arrive en 25 ans de vélo. En temps ordinaire, j'aurai pesté contre le raccourcissement de la sortie, là j'ai mis à profit pour rentrer en faisant des sprints départs arrêtés. Le plus fort, c'est qu'un quart d'heure avant j'avais doublé un cycliste faisant du "low gear, low rpm" lors d'une montée... Et j'ai repensé alors aux propos de Coggan :-)
Je crois que c'est H. Allen qui dit que les exos de force à basse fréquence et basse intensité ne font progresser QUE pour pédaler doucement à faible cadence!!!
(specificité? ;-))
Bravo pour l'article! C'est très bien expliqué!
J'apporte quand même un petit commentaire personnel. Je pense que le raisonnement de Coggan est très bon mais peut-être une notion telle que la force effective (par opposition aux forces internes dans les fibres musculaires) aurait apporté quelques éclaircissements.
En effet, dire que la force au niveau des pédales (force effective) est maximale à cadence nulle et nulle à cadence max revient pour moi à décrire un mécanisme strictement identique au moteur électrique. Le mouvement de rotation a ainsi un coût énergétique par travail interne qui tend à diminuer la force effective maximale disponible (ça représente de l'énergie de soulever entre 1 à 2 fois par seconde ces grosses jambes musclées!)
Coggan ne dit pour moi ni plus ni moins que ce qui compte est la force réelle qui s'applique au niveau des fibres musculaires et qui vont créer un stress pour le muscle susceptible de provoquer une surcompensation. Or, l'on se fie bien trop souvent à la force ressentie (effective) au niveau de la pédale pour juger du niveau de stress des fibres musculaire. Et on se laisse une fois de plus tromper par nos impressions!
La preuve par l'absurde décrit par Coggan est que si s'entrainer à faible cadence était vraiment stressant pour la fibre musculaire, alors on devrait être incapable d'effectuer des centaines voire des milliers de répétitions de ce genre d'exercice!
Le vrai exercice est celui qui fait souffrir, donc à puissance élevée!
Salut Manu, merci à toi il y'a un an de m'avoir poussé à relire ce qu'avait écrit Coggan, même si j'ai mis du temps à le comprendre... Je mets le lien sur le moteur électrique.
très bel article, bravo !!
Merci Anonyme :-)
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