Il est toujours là. Nos routes se coupent quelque part dans la solitude de la Chartreuse ou en quelque lacet de Belledonne lors d'entrainements furtifs éclairés par la lumière déliquescente d'une fin de journée. Lui me connait à peine, en tout cas lorsque nous nous croisons, il ne me remarque pas. Parfois, je le devine derrière, me suivant comme une ombre ou au contraire accélèrant et me dépassant, sans un mot. S'il connait peu de choses sur moi, en l'observant avec attention, je sais désormais presque tout de lui. Ses forces, ses faiblesses, ses temps d'entrainement. Au fil du temps, une relation ambigüe s'est ainsi nouée, teintée d'une sourde rivalité. Et lorsqu'il subit la fatigue ou l'échec, il m'arrive de ressentir une joie mauvaise, empreinte de retenue toutefois, car chaque jour qui passe me rapproche potentiellement du même désagrément qui force à l'humilité. Mais en parallèle, j'admire ses périodes de motivation, la ferme volonté de certains de ses entrainements, que je n'ai parfois pas ou plus le courage de réaliser. Jusqu'à présent, il était le moins fort, mais progresse d'année en année, réduisant peu à peu l'écart qui nous sépare. Il est devenu mon adversaire préféré et chaque occasion de pouvoir le battre, lui plus qu'un autre, me procure un plaisir particulier, mettant à nu l'un des ressorts les plus intimes de mon attrait pour le vélo.
Le lecteur l'aura peut être deviné, cet adversaire est une vue de l'esprit, rien d'autre que l'auteur de ses lignes, plus jeune d'un an. Ces derniers mois, j'ai longtemps pensé qu'il me dépasserait pour la première fois, mais des signes, des indices, glanés ici ou là tout au long de la saison, au détour d'une sensation ou d'un relevé chronométrique, révèlent que ce n'est pas encore le cas. Par simple respect envers cet adversaire, mon adversaire, mais aussi par le seul goût du dépassement, je roule en permanence avec le secret espoir que cette échéance soit la plus lointaine possible... Tout en sachant, qu'un jour, il deviendra le plus fort. Définitivement.
Ses meilleurs temps sur quelques montées
Les miens